38

Razur était un type maigre à la silhouette aussi effilée que son surnom. Il arborait un bouc teint en blond platine, des lunettes noires et un tatouage en forme de croix celtique sur la nuque.

« Evan ?

— Oui. Razur ? »

Razur lui serra la main et s’assit à la table d’Evan dans le coin le plus isolé du café. Il pencha la tête vers lui.

« Tu as les yeux de quelqu’un qui vient de fumer un gros bédo.

— Un bédo ?

— Un joint bien costaud, mon pote.

— Oh. » Evan secoua la tête. « Non. Tu veux un café ?

— Ouaip, noir. Le plus grand qu’ils aient. »

C’était un bar crasseux à la décoration insolite, mais pas trop bondé, avec une rangée d’ordinateurs alignés contre un pan du mur métallique et des jeunes qui surfaient sur Internet en sifflant du jus d’orange, du thé ou du café. Evan se leva et alla commander. Il sentit que Razur ne le quittait pas du regard, le considérant comme une série de problèmes qu’il allait devoir réduire à leurs parties constituantes avant de les résoudre. Ou peut-être était-il revenu à sa théorie sur la marijuana, estimant que la requête d’Evan était le résultat d’une folie causée par un excès de joints. Evan regagna la table et posa une tasse fumante devant Razur. Le hacker but une gorgée prudente.

« Paraît que des sales types te causent des emmerdes.

— Moins tu en sauras, mieux tu te porteras. »

Evan ne voulait pas entrer dans les détails sur les Deeps et leurs liens complexes avec la CIA. Razur esquissa un léger sourire.

« Mais tu as mis la main sur leurs sales secrets.

— Oui. Sur un ordinateur portable. Mais je n’ai pas le mot de passe.

— Moi non plus, répondit Razur. Pas sans le fric. »

Evan lui tendit un sac à linge de l’hôtel. Razur jeta un coup d’œil à l’argent qui se trouvait dedans.

« Compte si tu veux. »

Razur compta rapidement, sous la table, là où les liasses de billets n’attiraient pas l’attention.

« Merci. Désolé, j’suis pas le genre à faire confiance. Tu as la bécane ?

— Oui. »

Evan tira le portable d’un sac en plastique qu’il avait trouvé à l’arrière de la Jaguar.

« C’est pas réellement mon truc de faire des choses illégales. Ce que j’aime, c’est les défis techniques, histoire d’emmerder ces cons qui se croient si malins mais qui le sont pas. Pigé ?

— Pigé. »

Razur ouvrit son propre ordinateur portable tout fin, l’alluma, le brancha au portail Ethernet de la machine de Khan.

« Je vais exécuter un programme. Si le mot de passe figure dans un dictionnaire, c’est plié. »

Il pianota quelques touches. Evan regardait les mots qui défilaient à toute vitesse sur l’écran, trop vite pour qu’il pût les lire, avant d’aller s’écraser contre les barrières de la forteresse de Khan. Après un moment, Razur déclara :

« Pas de pot. On va essayer avec des alphanumériques balancés au hasard plus des variantes de fautes d’orthographe. »

Razur aspira bruyamment une gorgée de café, regarda la longue et solennelle progression de la barre d’état tandis que des millions de nouvelles combinaisons tentaient de découvrir le sésame du portable de Khan.

« Hé, tu t’y connais en ordinateurs de poche ? demanda Evan.

— Pas ma spécialité. Ces machins n’ont rien dans le bide. »

Evan tira de sa poche le PDA de Khan, l’alluma et appliqua l’empreinte de son pouce.

« Sécurité biométrique, dit Razur. Qu’est-ce que tu comptes faire, piquer une arme nucléaire ? »

Il s’esclaffa.

« Pas aujourd’hui. À quoi servent ces programmes. Je ne les reconnais pas. »

Razur étudia le petit écran.

« Hé ben. J’aimerais bien faire joujou avec. Celui-ci, c’est un programme qui crée des interférences – il émet un signal qui peut détraquer tous les portables dans cette pièce. Tu veux qu’on essaie ? »

Il fit un grand sourire malicieux tout en regardant les clients qui discutaient au téléphone. Il pianota sur l’écran sans attendre la réponse d’Evan.

Dix secondes plus tard, tout le monde regardait son téléphone d’un œil perplexe.

« Ah, je crois que je viens de faire quelque chose d’illégal. »

Razur pianota de nouveau et le service téléphonique sembla revenir à la normale tandis que les clients recomposaient les numéros pour reprendre leur conversation.

« Et celui-là… (Razur lança le programme et l’étudia en fronçant les sourcils)… c’est la même chose que ce que j’utilise sur ton portable. Mais spécialisé. Pour les systèmes d’alarme à clavier numérique. La plupart ont un mot de passe à quatre chiffres. Tu le branches sur le système, il déchiffre le code et l’active.

— Tu veux dire qu’il pourrait m’afficher à l’écran le code d’un système d’alarme ?

— Je crois qu’il est conçu pour ça. Celui-ci copie une carte de sauvegarde ou un disque dur. Il compresse les données pour qu’elles puissent être sauvegardées sur ce PDA.

— Mais tu ne peux pas copier tout un disque dur avec ça, si ?

— Non. Pas avec ça. Trop petit. Mais un autre PDA ou une série de fichiers, pas de problème. »

Peut-être que ma mère a utilisé un système de ce genre pour voler les fichiers de Khan, pensa Evan.

« Ça irait vite ?

— Bien sûr. Si tu t’en sers pour copier d’autres fichiers, pas de problème. Pour ce qui est de tout un dossier, ça irait plus vite que d’aller chercher dans le dossier pour trouver le bon fichier. Et si tu peux tout compresser, c’est encore mieux. » Il lui rendit le PDA et le regarda d’un air incrédule. « T’as piqué ça aux taupes ?

— Aux taupes ?

— Aux espions.

— Tu ne veux pas savoir.

— En effet », consentit Razur.

Evan regardait la barre d’état qui progressait lentement. S’il te plaît, pensa-t-il, trouve le mot de passe. Donne-moi les fichiers. Mais ce n’étaient pas juste des fichiers : c’étaient les secrets de toute une vie, les preuves de terribles escroqueries, la mémoire de vies supprimées au profit d’argent sale. Il n’avait qu’un atout à jouer contre Jargo, et il était dans ces fichiers.

Razur alluma une cigarette.

« Je pourrais hacker un site porno en attendant. Recouvrir les nichons de photos d’éminents politiciens. Je suis très antiporno ces temps-ci. J’ai viré complètement victorien. »

Evan secoua la tête.

« Je veux ton opinion sur une idée que j’ai eue. Si on trouve le mot de passe mais que les fichiers sur le portable sont cryptés, est-ce que ça t’empêcherait de les copier sur un autre ordinateur ?

— Possible. Ça dépend du cryptage. Ou s’ils sont protégés contre la copie.

— Le programme pour décrypter les fichiers est forcément sur ce portable, non ? Vu que pour modifier les fichiers, il faut d’abord les décrypter, effectuer les changements, puis appliquer de nouveau la protection.

— Oui. Si le programme qui supprime la protection n’est pas sur le portable, il doit se trouver quelque part où il est facilement téléchargeable. Sinon, c’est comme avoir un coffre sans la clé, ça sert à rien. Si ton méchant a planqué un programme fait sur mesure sur un serveur, je fouillerai dans sa mémoire cache, si elle a pas été effacée, pour le trouver, ou alors, je serai obligé de hacker son fournisseur d’accès Internet, expliqua-t-il avec un large sourire. Je sens que tu as une vilaine idée derrière la tête.

— On pourrait donc décoder les fichiers, dit Evan en faisant courir un doigt le long du bord lisse du portable, et cacher une copie. Sur un serveur où je pourrai la télécharger. Puis on crypte de nouveau l’ordinateur en utilisant le même logiciel de protection et le mot de passe original. Je rends leur portable crypté aux méchants, qui croiront peut-être que je n’ai jamais vu les fichiers de ma vie. C’est comme si je leur rendais un coffre dont je n’ai pas la clé. Comme ça, ils pensent que je ne constitue plus une vraie menace pour eux. »

Razur acquiesça.

« Ou même s’ils me tuaient, les fichiers pourraient toujours être utilisés pour couper les couilles desdits méchants. Ce serait mon carré d’as une fois dans le trou.

— Rien ne garantit, tempéra Razur, que je puisse même pénétrer ce système.

— Alors, je pense qu’il me faut un plan B. » Evan contempla ses possibilités, puis il sourit à Razur. « Je vais avoir besoin d’un peu plus d’aide de ta part. Bien sûr, je paye en conséquence.

— OK.

— Dis-moi, est-ce que tu joues au poker ? »

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